Par Oliver (et un complément final par Jean Olivier)
"Alors, quel était le meilleur ?"
Comment comparer le niveau d’un champion du monde des échecs des siècles derniers à celui de l’un des champions contemporains ?
Et quel serait le résultat probable d’un match entre deux champions que les siècles ou les décennies séparent ?
Par exemple : Capablanca contre Carlsen, ou Alekhine contre Kasparov ? Ou celui d’un match tant attendu qui n’a pas eu lieu : Fischer contre Karpov ?
Jean-Marc Alliot, un chercheur en informatique et en intelligence artificielle a analysé, avec Stockfish (meilleur logiciel libre d'échecs actuel), quelque 26.000 parties de 20 champions du monde depuis Steinitz. Il en a déduit un taux de précision (Computer aggregated precision score – CAPS) permettant de comparer la qualité des coups joués et la probabilité d’une erreur.
(NB : le classement Elo, utilisé depuis les années 1970, ne prend pas en compte la qualité des coups joués durant une partie, et ne permet pas de comparer des joueurs de différentes époques de l’histoire des échecs).
L’article scientifique de l’auteur permet de comparer les niveaux entre ces 20 champions. Et il en déduit quel serait le résultat d’un match entre les deux joueurs.
Tableau de prévisions du résultat d’un match entre deux champions jouant à leur meilleur niveau. Chaque case du tableau correspond au pourcentage de points marqués dans une confrontation hypothétique des deux joueurs, et la colonne de gauche peut être considérée (avec des bémols) comme le classement de ces 20 champions.
Au fil du temps, le niveau s’est amélioré… Carlsen, Kramnik, Fischer et Kasparov sont au-dessus des autres joueurs. Euwe, Alekhine et Steinitz sont un cran en dessous de la moyenne. Les autres joueurs ont dans l’ensemble des niveaux similaires.
Le niveau de Fischer (qui s’entraînait sans ordinateurs, contrairement aux champions actuels) est remarquable.
Les brillantes parties tactiques de Tal appartiennent sans doute au passé ; l’influence des ordinateurs tendant à uniformiser le jeu.
A l’heure actuelle, J.-M. Alliot ne pense pas que cette nouvelle méthode de classement des joueurs puisse remplacer le classement Elo (plus facile à organiser et à calculer), mais il ne doute pas que les progrès de l’informatique permettront de l’étendre à un nombre croissant de joueurs dans les prochaines années.
Pour en savoir plus
Les 20 joueurs inclus dans l’étude : Wilhelm Steinitz, Emanuel Lasker, Jose Raul Capablanca, Alexander Alekhine, Max Euwe, Mikhail Botvinnik, Vasily Smyslov, Mikhail Tal, Tigran Petrosian, Boris Spassky, Robert James Fischer, Anatoly Karpov, Gary Kasparov, Alexander Khalifman, Viswanathan Anand, Ruslan Ponomariov, Rustam Kasimdzhanov, Veselin Topalov, Vladimir Kramnik, and Magnus Carlsen.
Bibliographie
. Who is the master? (blog de J.-M. Alliot)
. "Who is the Master?", Jean-Marc Alliot (IRIT, Univ. Toulouse, CNRS), ICGA Journal, 2017
. Ranking chess players according to the quality of their moves, Frederic Friedel, chessbase,com, 2017
Complément par Jean Olivier Leconte
Un article intéressant d'Oliver sur une étude au sujet des champions du Monde d'échecs.
Mais je souhaite compléter cette étude avec quelques remarques personnelles.
Cette étude est dans l'air du temps où il faut tout mesurer, tout comparer, donner un prix à tout etc.
Est-ce que cela a du sens de comparer un joueur comme le champion du Monde actuel, Magnus Carlsen, avec son armée de secondants qui travaillent pour lui jour et nuit, armés des meilleurs ordinateurs et logiciels, avec par exemple le premier champion du Monde, Steinitz qui était seul et analysait uniquement avec son cerveau, à la fin du XIXème siècle ?
En mettant Steinitz dans les mêmes conditions que Carlsen aujourd'hui, quel serait le résultat ? Comparaison n'est pas raison et cette étude ne peut y répondre.
Alekhine disait qu'une nouveauté (amélioration d'une partie précédente) était valable pendant environ une année une fois qu'elle était jouée à son époque (dans les années 1930).
C'est-à-dire que pendant près d'une année il pouvait surprendre des adversaires avec telle ou telle amélioration de son jeu. L'information se diffusait via des revues spécialisées à un rythme très lent.
Maintenant une amélioration d'une partie fait le tour du Monde en quelques secondes, via internet, une fois qu'elle est jouée.
Ainsi Alekhine n'avait pas besoin de fournir un travail frénétique et régulier avec toute une équipe pour améliorer son jeu dans telle ou telle partie.
Son travail d'analyse surclassait les autres et ses efforts étaient suffisants pour son époque.
L'ordinateur tire le niveau général des joueurs de compétition vers le haut, c'est un fait.
Mais avec ça une part d'incertitude disparaît, ainsi qu'une certaine "poésie" du jeu d'échecs.
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